Organisation de la chefferie traditionnelle au Bénin : Vers une relecture de la loi ?

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Au Bénin, depuis le vote de la loi organisant la chefferie traditionnelle, les remous ne faiblissent pas. La salle d’audience du président du Parlement ne désemplit pas non plus. Louis Vlavonou a déjà reçu plusieurs délégations de rois et de comités de sages de différentes localités du pays, qui sont allées lui exprimer leurs préoccupations et plaidoyers. Eu égard à tout ceci, va-t-on vers une deuxième lecture du texte adopté, avant sa promulgation?

Le chef de l’État, Patrice Talon, qui en a les prérogatives constitutionnelles, va-t-il demander à l’Assemblée nationale de procéder à une nouvelle lecture de la loi sur la chefferie traditionnelle, au regard des contestations qui s’enregistrent suite à son adoption le 13 mars 2025 ? En effet, suivant le Règlement intérieur (RI) de l’institution parlementaire, et par ricochet la Constitution béninoise, le président de la République a trois possibilités après l’adoption d’une loi. D’abord, d’après l’article 57 de la Constitution, il peut promulguer la loi en l’état.

Ensuite, selon l’article 90 du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ou l’article 57 de la Constitution du 11 décembre 1990 telle que modifiée en 2019, le chef de l’État peut solliciter le Parlement pour une deuxième lecture de toute ou partie de la loi. Enfin, dernière possibilité, il pourrait demander à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi votée, d’après l’article 121 de la loi fondamentale béninoise. Patrice Talon va-t-il considérer la pertinence de ces remous et contestations pour demander une relecture, ou la loi va-t-elle être promulguée en l’état quitte à l’améliorer après sa mise en application ?

Des insatisfactions

En effet, dans une édition spéciale consacrée à la loi sur la chefferie traditionnelle.sur la web télévision, Guérite TV Monde, bien que le député Kolawolé Djiman Ogbon ait salué et reconnu l’audace du pouvoir en place pour avoir pensé à une telle loi, il estime néanmoins qu’il y a lieu de s’inquiéter. Selon le parlementaire de l’opposition, plusieurs royaumes, autrefois bien reconnus, n’ont pas été pris en compte par le texte adopté. De plus, certains royaumes pris en compte par la loi ont vu leurs chefferies supérieures ou coutumières abandonnées. Kolawolé Djiman Ogbon du parti Les Démocrates, qui a d’ailleurs voté en plénière contre la loi, souligne la question des sanctions prévues par la loi contre les rois et chefs (supérieurs ou coutumiers) qui outrepasseraient les interdictions à eux faites. Il déplore que ces sanctions n’ont pas été précisées dans la loi. Ce qui, alerte-t-il, pourrait être source de tensions à l’avenir.

Même son de cloche du côté d’Alassane Sabi Karim, qui dénonce également l’omission d’autres entités traditionnelles et l’érection de certaines chefferies sur une même échelle que d’autres, ce qui, à ses dires, ne devrait pas être le cas. Il a donc souhaité des clarifications sur des dispositions de la loi afin d’éviter tout conflit. “Cette loi, pour ma part, en l’état, risque de créer plus de problèmes que de solutions dans le futur”, a prévient le député à l’Assemblée nationale. Un avis que partage également le président du groupe parlementaire Les Démocrates, Nourénou Atchadé. “[…] En l’état, cette loi causera beaucoup de problèmes”, a-t-il déclaré. Selon lui, la loi n’est pas précise sur la hiérarchisation des entités traditionnelles. Il fait allusion au pays Bariba, où tous les rois font allégeance au trône de Nikki, lequel trône est classé au même titre que les autres par la loi votée.

Des assurances tout de même

Contrairement à ces réserves émises, d’autres voix viennent pour rassurer et apaiser. En effet, reçu sur la télévision nationale, Srtb, le député de la mouvance Orden Alladatin, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, a apporté des éclaircissements sur la méthodologie ayant abouti à l’adoption de la loi sur la chefferie traditionnelle en République du Bénin. De ses explications, le comité technique sur la chefferie traditionnelle, mis en place en 2022, a pris comme référence l’année 1894 pour les entités de la partie méridionale du pays et 1897 pour celles de la partie septentrionale.

À cela s’ajoutent des revues documentaires, des recherches scientifiques sur l’histoire des royaumes à travers des thèses et des livres d’histoire, tels que L’historicité des royaumes, espaces de pouvoirs en République du Bénin, ainsi que des descentes sur le terrain. C’est à la suite de ces travaux minutieusement effectués par le comité que le projet de loi a été transmis à la commission des lois. Aux dires du député Alladatin, la commission des lois, à son tour, a mis en place une sous-commission composée de parlementaires de toutes obédiences politiques. Cette sous-commission s’est donc rendue non seulement auprès des cadres du ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts, mais également auprès du comité technique de chefferie traditionnelle pour s’enquérir des démarches menées pour aboutir au document déposé au Parlement.

“La commission n’est pas en train de réinventer l’histoire, la commission ne s’est pas occupée à réparer l’histoire, la commission a eu un projet qu’elle a travaillé à améliorer, mais sur la base des délibérations du comité technique”, a fait savoir Orden Alladatin lors de l’adoption de la loi à l’Assemblée nationale.

Quant aux craintes concernant l’omission de certains chefs traditionnels, le président de la commission des lois au Parlement a expliqué qu’une quatrième catégorie a été mise en place pour ces derniers, à savoir la chefferie communautaire en dehors de la catégorie des rois, des chefs supérieurs et chefs coutumiers. Sur la question de l’échelle des royaumes, Orden Alladatin a précisé que “l’État n’est pas allé dans l’organisation socio-culturelle des choses”, car “l’État ne s’implique pas”, a-t-il ajouté. Et il poursuit : “si vous allez dans le Barutem, les choses vont rester telles qu’elles sont”. À titre illustratif, le président de la commission des lois souligne : “le roi de Kika gardera le même rapport avec le roi de Nikki, avec les mêmes systèmes d’allégeance”.

Reçu dans l’émission spéciale de Guérite TV Monde, le professeur de Géographie humaine à l’université d’Abomey-Calavi, Léon Bio Bigou applaudit l’avènement de cette loi, qui, se rejouit-il, vient mettre de l’ordre dans le pays, dans un contexte où “tout le monde est roi”. L’universitaire rappelle que l’idée de légiférer sur la chefferie traditionnelle date de plusieurs années, notamment 2002-2003 et quand lui-même a été député et vice-président de l’Assemblée nationale. Mais les textes proposés à l’époque n’avaient pas prospéré. Par conséquent, parvenir à l’adoption d’une telle loi aujourd’hui “est une très bonne chose”, a-t-il laissé entendre. Pour le professeur Bio Bigou, “tout le monde devrait contribuer à améliorer le texte qui a été pris dans l’intérêt du peuple béninois”. Bien qu’il reconnaisse que la loi ne peut satisfaire tout le monde, il estime que l’intérêt général doit primer. “Honnêtement, laissons nos égos de côté pour voir quel est l’intérêt de la nation béninoise”, conclut-il .

Anselme ORICHA