Porto-Novo : Ambiance délétère à la Préfecture de l’Ouémé

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De sources concordantes, le courant ne passe plus entre le Préfet du département de l’Ouémé, Marie Akpotrossou, et certains de ses collaborateurs. Selon les informations reçues par la rédaction de La Guérite, cette situation, qui fait suite à un contrôle de l’Inspection générale des Finances, a vicié l’ambiance de travail au sein de l’administration préfectorale.

Les faits

Tout est parti d’une dénonciation anonyme relative à des faits présumés de mauvaise gouvernance administrative et financière sur la période de 2022 à 2025. C’est ainsi que l’Inspection générale des Finances a diligenté une mission de vérification et de contrôle à la Préfecture de Porto-Novo. Cette mission a auditionné plusieurs chefs de service et membres du cabinet ainsi que le Préfet, Marie Akpotrossou. N’ayant pas obtenu gain de cause, bien que certains chefs de service aient choisi « de dire la vérité sur les faits dénoncés, pour ne pas faire obstruction à la manifestation de la vérité et faciliter le bon déroulement de la mission », l’Inspection générale des Finances a été contrainte, selon nos informations, d’approfondir les investigations en organisant des auditions de confrontation.

Alors que le Préfet avait « nié en bloc les faits », certains chefs de service ont confirmé leurs déclarations préliminaires. Pour Marie Akpotrossou, il s’agit d’un affront à son autorité et elle a promis de leur « mener la vie dure », renseignent nos sources qui soulignent que l’autorité aurait, par la suite, mis à exécution sa menace. Conséquence : l’on assiste à un “blocage total des activités inscrites au Plan de Travail Annuel de la Préfecture, avec le refus du Préfet de signer les termes de référence, comme ce fut le cas en 2024”. Ce blocage a entraîné un grand retard dans le démarrage des activités de la Préfecture. Comme si cela ne suffisait pas, Marie Akpotrossou a procédé à la mutation “brutale” du Chef du Service Planification et Aménagement du territoire vers la Commune des Aguégués ; ceci par une simple note de service, alors même qu’il avait été nommé par un arrêté préfectoral validé par la Cellule d’analyse des projets d’arrêtés ministériels et préfectoraux. Une décision très critiquée parce que ne respectant pas la procédure en la matière.

Après des démarches sans suite auprès du ministère de la Décentralisation et de la Gouvernance locale, certains cadres de l’administration préfectorale, animés par le désir de retrouver un climat serein et convivial sur leur lieu de travail, s’en remettent au Chef de l’État pour une solution rapide.

La démarche de la Rédaction

Ayant eu vent de l’ambiance délétère et de méfiance à la Préfecture, la rédaction du journal La Guérite, dans le souci de l’équilibre, est entrée en contact avec les différents acteurs concernés.

Appelé au téléphone, le Préfet Marie Akpotrossou nous a renvoyés vers d’autres sources, refusant de se prononcer. Du coup,, elle a raccroché au nez du journaliste. “Il faut vous rapprocher de ceux qui vous ont donné ces informations afin qu’ils vous apportent la preuve de leurs allégations (…) Moi je n’ai aucun souci à la Préfecture”, a-t-elle laissé entendre. Sans relâche, nous contactons de nouveau la première autorité de la Préfecture, mais sans suite malgré notre insistance.

Nous nous tournions ensuite vers la deuxième autorité du département : le secrétaire général de la Préfecture. Joint au téléphone, Jean-Baptiste Akpamagbo, bien qu’il ait reconnu que tout n’est pas rose, a décidé de ne pas se prononcer au téléphone. ” Nous allons prendre langue autrement avec vous pour que, s’il y a des détails qui vous intéressent, je passe… parce que je ne parle pas de l’administration au téléphone”, a-t-il confié.

Toujours dans la recherche de l’information, nous avons contacté des chefs de mission du Préfet. En premier lieu, Edmond Ayindé a reconnu qu’effectivement le climat de travail n’est pas des plus reluisants. Ceci malgré les démarches menées aussi bien auprès de l’autorité préfectorale qu’au niveau du ministère de tutelle. M. Ayindé nous confie qu’après le passage de l’Inspection générale des Finances, il y a eu “des représailles”, confirmant la mutation, la semaine surpassée, d’un chef de service de son poste pour la commune des Aguégués”. “Rien ne va”, martèle le chef de mission Edmond Ayindé, qui explique : “Figurez-vous, nous sommes en train de finir le troisième trimestre de l’année et tout le monde sait que le quatrième trimestre, on ne fait pratiquement rien, on boucle. Mais elle (le Préfet) a tout bloqué…”. Selon les propos du Cm du Préfet, “les termes de référence ont été déposés à son niveau, on a mis les comités en place, même chose. Malheureusement, elle n’a pas sorti les termes de référence”, déplore Edmond Ayindé. Il revient sur les démarches menées : “Nous, on a fait tout ce qui doit être fait, on est allé la voir, on a fait des réunions de cabinet qui réunissent les chargés de mission, le Secrétaire Général de la préfecture. La seule chose qu’on lui dit, madame, les TDR sont à votre niveau, il faut les sortir et les signer “. Outre cette démarche en direction du Préfet, “on a saisi notre ministre de tutelle”, a confié Edmond Ayindé. Quand bien même les lignes semblent ne pas bouger, “on essaye quand même de trouver des canaux pour que la situation se décante”, a fait savoir le Cm Edmond Ayindé.

Contacté à son tour, Igor Ulrich Aholou, lui aussi chargé de mission de madame le Préfet, a refusé de se prononcer sur le sujet : “Contentez-vous de ce qu’on vous a dit”, a-t-il indiqué. Malgré notre insistance, il ajoute : “Je ne saurais vous apporter quelque élément que ce soit”. Mais, “s’il y a une évolution et qu’il est nécessaire de partager, il n’y a pas de souci, on se reprendra”, a-t-il déclaré.

Au téléphone, M. Saïd Olatudji Liassou le chef du Service de la planification et de l’aménagement du territoire muté, lui, s’est plutôt prêté à nos questions. Non seulement il a confirmé les informations reçues par notre rédaction à propos de l’ambiance qui prévaut à la Préfecture mais aussi les propos du chef de mission Edmond Ayindé. En effet, selon celui qu’on peut désormais appeler ex-chef du Service de la planification de la Préfecture de l’Ouémé, les faits remontent à 1 an. “Ça a commencé l’année passée, 2024, dans la mise en œuvre des activités prévues dans le plan de travail annuel. Normalement, on devrait mener des activités telles que prévues par les textes en vigueur au Bénin. Et tout ce qui est prévu également comme dispositions légales pour mettre en œuvre ces activités. Pour mener ces activités, il faut d’abord faire les termes de référence, toute une panoplie d’activités préalables avant d’aller sur le terrain”, a-t-il décrit. “Il s’est fait qu’en 2024, ça n’a pas été le cas sur toute la ligne jusqu’à la fin de l’année où même pour des activités prévues avec les directeurs départementaux, ces séances n’ont pas eu lieu”, poursuit-il. Pourtant, “les fonds réservés à ça, pour leur restauration, ont été débloqués par l’ordonnateur qui est le Préfet”, relate Saïd Olatudji Liassou. C’est d’ailleurs ce qui a justifié, selon ses dires, le passage de l’Inspection générale des Finances du ministère des Finances, pour évaluer la gestion administrative et financière du département. Au-delà, l’Inspection générale des Finances a approfondi les enquêtes en confrontant les agents à l’autorité préfectorale. Selon M. Liassou, “cette séance de confrontation a donné lieu à des peurs qui animent les agents de la Préfecture parce que l’autorité du département n’a pas reconnu les faits sur toute la ligne…” C’est d’ailleurs, selon Saïd Olatudji Liassou, ce qui a fait naître les représailles subies par les agents à la suite du départ de la mission de contrôle de l’IGF.

“J’ai été le premier que le Préfet a enlevé par une note de mon poste, parce que lors de la confrontation avec l’autorité préfectorale, on a dénoncé ce qui ne va pas devant l’IGF”, a-t-il confié. Après avoir été limogé et muté dans la commune des Aguégués, Saïd Olatudji Liassou a déclaré que son poste est désormais occupé par son ancien collaborateur. Ce dernier, qui aurait collaboré avec l’autorité préfectorale. “Nous qui avons dit la vérité, nous sommes là à subir les représailles”, dénonce M. Liassou qui fustige par ailleurs sa mutation qui n’aurait pas respecté les procédures en la matière. Pour lui, il a été nommé en tant que chef de service à la préfecture à travers un arrêté préfectoral mais aujourd’hui, il est muté dans la commune des Aguégués… “Le SE et le Préfet se sont entendus et le SE a envoyé un courrier pour réclamer l’agent qui était mis à leur disposition en 2023 (il y a moi et mon second aussi) et comme ça, le Préfet a pris une note de service pour nous retourner dans la commune des Aguégués”.

Pour Saïd Olatudji Liassou, procéder de cette manière sous-entend qu’il y a des non-dits. Car selon lui, leur mutation ne devrait pas intervenir à un moment où une enquête est ouverte par l’IGF. “On ne sait pas encore à quel saint se vouer par rapport à la situation…”, a-t-il lancé.

Selon les explications de l’ex-chef de la planification, pour justifier la mutation “brutale” opérée à son encontre, le Préfet aurait pris également des notes de service pour muter d’autres agents qui ont regagné d’autres communes, dans l’intention de “généraliser”. Toutefois, Saïd Olatudji Liassou a dit prendre acte de la décision de l’autorité et croise les doigts.

Ce dossier de mutation “brutale”, qu’en est-il réellement ? Pour mieux comprendre, nous avons également contacté le maire de la commune des Aguégués, Marc Gandonou. Au téléphone, il a rejeté sa responsabilité quant à la supposée demande des agents de la commune en service à la Préfecture. Selon ses déclarations, il a été informé de la mutation d’un agent à travers une note à lui envoyée par madame le Préfet. “Je ne suis pas initiateur”, a-t-il insisté.

Pour le maire, il revenait à l’autorité préfectorale de recadrer le secrétaire exécutif qui n’aurait pas respecté la procédure avant d’introduire la demande des agents de la commune en service à la préfecture. “Cruellement, je vois madame le Préfet donner une réponse à la note qui lui a été adressée par le secrétaire exécutif sans l’avis du maire et du conseil de supervision”, a confié le maire Marc Gandonou. Il dit d’ailleurs déplorer cette attitude. Alors “qu’il n’y a pas d’autorité sans les textes, il n’y a pas d’autorité non plus au-dessus des textes, c’est malheureusement le constat que je fais”, a-t-il laissé entendre.

La version du syndicat de la Préfecture

La Préfecture dispose d’un syndicat qui défend les travailleurs. Joint également au téléphone par la rédaction, Derrick Weinsou, Secrétaire général du syndicat de la préfecture a apporté sa part de vérité. À l’instar du maire, la mutation des agents de la Préfecture dans leurs communes respectives n’a pas, selon lui, respecté les textes en vigueur. “On a juste constaté que les SE concernés ont adressé une correspondance au Préfet pour réclamer les différents agents”, a-t-il fait savoir. “Vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a une mission d’inspection à la préfecture, depuis ce jour, les agents sont sujets à des représailles et jusqu’à aujourd’hui, les activités sont bloquées. Depuis le départ des inspecteurs, on n’a pas pu exécuter les activités programmées au PTA”, a confié Derrick Weinsou. “À l’allure où vont les choses, le personnel souffre et l’état d’esprit de la troupe n’est pas au beau fixe. On est démotivé, la seule personne qui puisse nous aider dans cette affaire, vous le connaissez très bien, c’est le Chef de l’État”, a conclu le SG du syndicat de la Préfecture de Porto-Novo.

Bien que le Préfet Marie Akpotrossou n’ait pas affiché sa disponibilité à se prononcer sur la situation qui prévaut au sein de l’administration préfectorale, la Rédaction du journal La Guérite reste tout de même ouverte à d’éventuelles clarifications de sa part dès qu’elle sentirait le besoin.

Anselme ORICHA