Dr Philippe Adjagba : « Les cardiopathies congénitales ne sont pas de mauvais sorts jetés aux enfants »

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(Le Cardiologue lance un message aux populations en cette journée consacrée à la sensibilisation aux cardiopathies congénitales)
Ce 14 février 2023, la communauté internationale célèbre la journée internationale de sensibilisation aux cardiopathies congénitales. A cette occasion, le médecin cardiologue adulte, cardiologue pédiatrique interventionnel et chef service de cardiologie adulte et pédiatrique au Chu Mère Enfant Lagune de Cotonou, Dr Philippe Adjagba, a bien voulu nous accorder une interview pour nous expliquer les contours de ces malformations enregistrées chez les enfants. Il confirme que les malformations cardiaques ou cardiopathies congénitales existent. Lisez plutôt…

Qu’entend-on par cardiopathie congénitale ?

Je tiens à vous remercier pour l’occasion que vous nous offrez de communiquer en cette Journée internationale de sensibilisation aux cardiopathies congénitales qui est une journée internationale ayant pour but d’attirer l’attention sur les besoins spécifiques des enfants nés avec ces malformations cardiaques.
Les cardiopathies congénitales sont les malformations du cœur qui surviennent au cours de la grossesse. Il s’agit de la persistance de structures cardiaques destinées à disparaître après la naissance. En d’autres termes, l’enfant va naître avec un cœur qui présente une malformation, une anomalie. Ces malformations peuvent être plus ou moins invalidantes, sont -ou ne sont pas- opérables, mais constituent dans tous les cas un handicap durable pour les personnes atteintes et leurs familles. Ce sont les malformations les plus fréquentes dans l’espèce humaine. Elles sont la première cause de mortalité dans la première année de vie.

Quels sont les types de cardiopathies qui existent ?

Le cœur est un organe creux fait de plusieurs cavités séparées par des cloisons étanches et d’où sortent deux gros vaisseaux. Les malformations cardiaques sont de plusieurs types. Celles qui sont liées à la présence d’un ‘’trou’’ dans le cœur : la Communication Inter Auriculaire (CIA), la Communication Inter Ventriculaire (CIV), la Persistance du Canal artériel (PCA)…, à la présence d’un obstacle à l’écoulement du sang (sur les valves du cœur ou sur les artères qui sortent du cœur), à l’absence de développement d’une partie du cœur, à l’association de plusieurs anomalies : Tétralogie de Fallot.

Existe-t-il des symptômes qui permettent de reconnaître cette maladie?

Plusieurs signes peuvent orienter vers une cardiopathie congénitale. La respiration rapide. Le souffle est court au repos ou lors de la prise des biberons chez les enfants qui parfois dorment sur le sein après quelques succions ; l’alimentation de faible qualité nutritive (surtout chez les petits enfants parce qu’ils se fatiguent facilement pendant la tétée) ; la faible prise de poids : ces enfants ne grandissent pas convenablement et sont plus petits que leur âge ; la fatigue pendant une activité physique (chez les enfants plus âgés) ; l’irritabilité ou les pleurs prolongés ; la teinte bleuâtre de la peau, des lèvres et des ongles (maladie bleue) ; les évanouissements ; l’arrondissement anormal du lit des ongles (doigts en baguettes en tambour). Le diagnostic se fait par l’agent de santé qualifié sur la base de ces signes et de son examen. Pour confirmer le diagnostic, on va s’aider d’examens et le plus important et le plus pratiqué à Cotonou est l’échographie du cœur. Il est également possible de faire le diagnostic avant la naissance de l’enfant grâce à cette échographie du cœur.

Peut-on les soigner ? Si oui, comment?

Oui, ces maladies se soignent. Le traitement de la cardiopathie congénitale peut comprendre des médicaments, des chirurgies (à cœur ouvert ou à cœur fermé) et d’autres interventions (interventions par cathéter encore appelées cathétérisme cardiaque), ainsi que des changements au mode de vie. Le type de traitement sera décidé par le médecin traitant. Il faut noter que la majorité de ces enfants vont avoir besoin d’une chirurgie cardiaque pour la correction de leur cardiopathie parfois avant leur premier anniversaire.

Peut-on guérir de ces cardiopathies?

En fonction de la nature de la cardiopathie congénitale, on peut bien guérir après une correction par chirurgie ou autres interventions. Même atteint d’une cardiopathie congénitale, on peut mener une vie épanouissante. Il y a toutefois certains aspects à garder en tête pour apprendre à vivre avec cette maladie du cœur surtout dans nos pays où tous les enfants ne sont pas opérés. Le suivi médical régulier est indispensable.

Quels traitements sont possibles au Bénin ? Et que faire pour les traitements non disponibles au Bénin ?

Au Bénin, il est possible lorsque le diagnostic est fait de mettre l’enfant sous un traitement médicamenteux. Il s’agit souvent d’un traitement d’attente ou pour traiter les complications. Malheureusement tous les médicaments nécessaires ne sont pas toujours disponibles surtout ceux nécessaires pour les urgences. Depuis la présence de deux chirurgiens cardiovasculaires, certaines malformations cardiaques ont commencé par être réparées sur place mais à cœur fermé. La chirurgie à cœur qui permet la réparation des cardiopathies les plus importantes n’est pas encore possible à Cotonou pour cette population d’enfants pas à cause d’une limitation technique ou de compétence mais par manque de plateau technique approprié. Espérons que les initiatives prises par les autorités sanitaires permettent dans un avenir proche de faire ce type d’intervention sur place. Les interventions par cathétérisme cardiaque ne sont pas non plus possibles au Bénin pour l’heure. Nous espérons que cela sera une réalité bientôt. Lorsque ces possibilités thérapeutiques ne sont pas disponibles, les enfants sont évacués à l’étranger pour subir les interventions requises. Il faut noter que sur environ 400 enfants qui sont vus chaque année, moins de 50 sont évacués soit par l’Etat pour les ayants droit qui sont loin d’être les plus nombreux, ou par les ONGs de bienfaisance comme Terre des Hommes, Chaine de l’Espoir, Mécénat Chirurgie Cardiaque… Le coût de ces évacuations sanitaires, est très souvent prohibitif et n’est pas à la portée de tout le monde. Néanmoins, certains parents arrivent à faire opérer leurs enfants à l’étranger.

Lorsqu’un enfant naît avec une cardiopathie congénitale, quels sont les risques supplémentaires qu’il court?

Le principal risque couru par un enfant porteur de cardiopathie congénitale, c’est un développement compromis. Ces enfants auront du mal à grandir, à avoir une scolarité normale et s’adonner aux mêmes activités que les enfants de leur âge. C’est un véritable handicap que représente cette maladie pour les enfants et leurs familles. Ils présenteront au cours de leur développement plusieurs épisodes de maladies et malheureusement le décès dans cette catégorie de population est plus élevé. Seule la correction précoce de la malformation permet aux enfants d’échapper à cette triste histoire naturelle.

Au Bénin, quel état des lieux peut-on dresser de cette maladie?

Chaque année, environ 5 à 8 enfants sur 1 000 naissent avec une malformation cardiaque. On estime que, environ 1 enfant naît toutes les 15 minutes dans le monde avec une cardiopathie congénitale. Dans les pays développés, ces cardiopathies sont détectées tôt, le plus souvent à la naissance, parfois même avant grâce à l’échographie fœtale, et grâce aux progrès de la cardiologie néonatale, de la chirurgie cardiaque et du cathétérisme cardiaque disponibles dans ces pays, ces enfants grandissent et 9 fois sur 10 atteignent l’âge adulte. Au Bénin, c’est entre 1700 et 2800 enfants qui naissent chaque année avec des cardiopathies congénitales. Le diagnostic est souvent fait après la naissance et très tardivement (en moyenne à 9 mois et 3 ans) et il n’est pas rare de rencontrer des adultes avec des cardiopathies congénitales jamais diagnostiquées. Nous retrouvons sur 1000 enfants reçus, environ 4 qui portent encore des malformations cardiaques non opérées. Parmi ces enfants vus à l’hôpital environ 13 % ne pourront jamais bénéficier de la correction de leurs malformations à cause des complications. Un quart de ces enfants décèderont avant 1 an après leur admission à l’hôpital. Le Bénin, comme la plupart des pays pauvres, ne dispose pas sur place de la chirurgie cardiaque ni le cathétérisme cardiaque pédiatrique et peu de ces enfants grandissent ou atteignent l’âge adulte sans les complications auxquelles les exposent leurs malformations.

Quels conseils peut-on donner à la population en vue de prévenir éventuellement cette maladie?

Pour la population, il est important de retenir que les malformations cardiaques ou cardiopathies congénitales existent. Elles ne sont pas de mauvais sorts jetés aux enfants et ont besoin d’être diagnostiquées tôt pour être soignées. Devant des symptômes qui suggèrent un problème cardiaque chez un enfant, il faut consulter l’agent de santé le plus proche. Si on a la chance de rencontrer un médecin, un pédiatre ou un cardiologue, il fera orienter lorsque c’est nécessaire le patient vers un spécialiste des maladies de cœur des enfants. Ainsi, le processus de prise en charge pourra débuter. Pour prévenir les malformations cardiaques, les mesures passent par la vaccination surtout aux filles, la lutte contre l’automédication au cours de la grossesse car beaucoup de médicaments pris sans ordonnance sont un danger pour le bébé et la femme enceinte elle-même.