Contraception chez la femme en situation de handicap : la responsabilité des parents face aux grossesses non désirées.

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En effectif plus réduit au sein de la population, les personnes handicapées jouissent-elles véritablement des droits à la santé sexuelle et reproductive ? Personnes vulnérables, bon nombre d’entre elles, les filles surtout, tombent enceintes sans être dans une vie de couple. Dans le meilleur des cas, le partenaire l’ayant ensemencé se fait identifier, mais dans la plupart des cas, il n’est ni vu, ni connu. Les parents se lamentent car c’est une nouvelle charge qui est créée au sein de la famille. Mais au-delà des lamentations, quelle est leur responsabilité dans les grossesses non désirées contractées par leurs filles handicapées ? Cette interrogation est le fil conducteur de cette enquête.

Par Alban Charles DAHOUI

Aux termes de la loi N°2017-06 du 29 Septembre 2017,  portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en république du Bénin, est considérée comme personne handicapée, « toute personne qui présente une incapacité physique, mentale, intellectuelle ou sensorielle dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à sa pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres ». Généralement quel est l’état d’âme des parents de filles handicapées ?

Les parents ont tendance à nier et à rejeter la sexualité de leur enfant handicapé 

Le handicap quel qu’il soit, constitue pour la plupart des parents une lourde charge à porter, surtout si ceux-ci ne bénéficient d’aucun accompagnement ou assistance psychologique et social. Les filles affectées par une déficience ne sont très souvent pas perçues par leurs propres parents comme des êtres qu’un homme pourrait désirer ; qu’un homme voudrait avoir comme épouse. Beaucoup se disent intérieurement « qui voudra d’elle ? » ; « Qui accepterait convolé en noce avec elle ?». Raphaëlle PERETIE, psychologue clinicienne, psychanalyste, dans son ouvrage intitulé Le corps sexuel chez l’enfant handicapé, paru aux éditions l’Esprit du temps, affirme que « les parents ont tendance à nier et à rejeter la sexualité de leur enfant handicapé : celle-ci se présente souvent pour un père ou une mère comme quelque chose d’impensable ». Or quand le handicap n’affecte pas les organes reproducteurs de la fille, l’on peut constater qu’à l’âge de la puberté sa poitrine se développe, son postérieur s’arrondit, bref son corps subit les modifications morphologiques et les menstrues apparaissent. Dès lors, elle attire des regards masculins. Seulement, en raison de son handicap, rares sont les garçons qui osent s’afficher en sa compagnie. Rares sont ceux qui se comportent comme voulant d’elle. Parfois même, ces prétendants tapis dans l’ombre se moquent d’elle. Et c’est dans l’ombre que l’ensemencement de la jeune fille est effectué. Du jour au lendemain, les parents découvrent que leur fille qui selon eux, n’intéresse par les garçons, a été non seulement désiré, mais enceinté de surcroit. Qui en est l’auteur ? Qui t’a fait ça ? Des questions qui n’auront peut-être jamais de réponse. Car l’auteur de la grossesse même s’il venait à être identifier par la fille déficiente, nie souvent avoir eu des rapports sexuels avec elle. Sa ligne de défense est axée sur le fait que la fille n’a pas ‘’ tous ses sens’’, et qu’on ne saurait se fier à ce qu’elle dit. Dans le cadre de cette enquête nous avons recueilli quelques témoignages confirmant cet état de chose.

Handicapée oui,  mais capable d’enfanter

Par une soirée au ciel couvert, dame Joséphine SAVI nous a reçus en son domicile sis à Tokpota, un des quartiers du cinquième arrondissement de Porto-Novo, capitale du Bénin. La septuagénaire nous a conté l’histoire de deux femmes handicapées que nous rebaptisons Sessi et Sènan. La première, Sessi est actuellement mère de cinq enfants malgré la déficience mentale dont elle souffre. Les trois premiers enfants ont été reconnus par leur père qui les a récupéré et assure leurs prises en charge. Quant aux deux derniers,  leur géniteur n’est pas connu, nous a confié Joséphine SAVI : «  Ses parents n’ont pris aucune disposition pour la mettre à l’abri d’une grossesse indésirée. Après trois maternités et sans être dans les liens du mariage avec un homme, elle a fait deux autres enfants. Le dernier allaite encore et comme  elle a l’habitude de me fréquenter, je lui ai dit qu’il est temps qu’on lui applique une méthode contraceptive.  Seulement le dernier mot revient à ses parents, notamment à sa mère qui malheureusement ne s’en soucie pas trop. Moi, c’est avec peine que je vis ça, car très souvent elle fait la ronde du quartier à la recherche de sa pitance. Elle propose par endroit des services de blanchisseur, mais compte tenu de son état psychologique, peu de gens accepte. Il y a quelques jours, elle était chez  moi et j’ai due lui donner une pièce de 200 FCFA pour qu’elle s’achète quelque chose à manger. C’est une situation que je vis avec beaucoup de peine ». En outre, chez Joséphine SAVI, nous avons rencontré un enfant de moins de huit ans dont elle a la charge.

Enfant de femme handicapée

Sènan est le nom par lequel nous  désignons sa mère dans le cadre de cette enquête. « Je suis la tutrice de Sènan nous a-t-elle confié. Dans son enfance, elle ne souffrait de rien et m’aidait à faire de la vente ambulante. Nul ne sait ce qui lui est arrivé par la suite pour que sa santé mentale soit affectée. Et c’est dans un tel état qu’elle a donné naissance à trois enfants. C’est la benjamine qui est avec moi actuellement. Les deux autres ont été confiés à une tierce personne étant donné que sa santé mentale ne lui permet pas d’assurer la garde des enfants.

Le dernier  n’avait d’ailleurs que quatre mois quand elle a refusé de l’allaiter. En l’absence de moyens pour substituer le lait maternel à du lait artificiel, la prise en charge du nourrisson fut une véritable gymnastique. Quand bien même son géniteur s’est dévoilé, il n’a point les moyens d’assurer l’alimentation du nourrisson. Ce ne fut donc pas chose facile. Grâce à mes efforts et au soutien des personnes de bonne volonté elle est encore en vie. Je l’ai inscrit à l’école. Quant à sa mère, Sènan ; après l’accouchement du troisième enfant, il paraît que son utérus a été retourné à l’envers pour ne plus qu’elle tombe de nouveau enceinte. C’est sans doute ce qui justifie le fait qu’elle n’est pas contracté une nouvelle grossesse depuis quelques années». L’histoire de Sènan et de Sessi révèle l’inaction de leurs parents directs en ce qui concerne la jouissance de leurs droits à la santé sexuelle et reproductive. C’est souvent le cas pour les filles handicapées. Il échappe aux parents, que le handicap de leurs filles n’a pas affecté la faculté naturelle de procréer. Cependant, certains parents sortent de cette ignorance et prennent la voie de la contraception après une ou plusieurs maternités.

Un élan post-accouchement vers la contraception dans le meilleur des cas

Façade de la clinique PROFAM de Porto-Novo

 

Mélanie ADAMON AGBAHOUNGBA, sage-femme retraitée

Selon Mélanie ADAMON AGBAHOUNGBA, sage-femme retraitée que nous avons rencontré dans la seule clinique PROFAM encore en service à Porto-Novo, les quelques rares parents qui décident d’appliquer une méthode contraceptive à leur fille déficiente, prennent la décision après au moins une première grossesse dont l’auteur est inconnu. «  Nous avons reçu un cas dans notre clinique. La fille souffrait de troubles mentaux. Malgré cet état, elle a contractée une grossesse. Après l’accouchement qui a eu lieu chez nous, sa maman a demandé qu’on lui applique une méthode contraceptive. Ce que nous avons fait. Cela a permis d’éviter d’autres grossesses non voulues.»

Diane GBETCHIDE , sage-femme, responsable région sud-est de l’ABPF

Diane GBETCHIDE, sage-femme de profession est la responsable de  la coordination régionale sud-est de l’Association Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF). Elle totalise un an de service à ce poste et au cours de ses douze derniers mois, elle a reçu en consultation deux parents de filles en situation de handicap. « L’une était sourde muette et la deuxième avait une déficience mentale. Les deux ont été amenées en consultation après au moins une grossesse interrompue hors de notre centre. »

Celle à qui nous donnons le prénom Ablavi, était déjà mère de quatre enfants avant son admission au centre. Des enfants dont personne n’est venue réclamer la paternité. Le quatrième enfant n’avait même pas cinq mois quand son utérus a accueilli un nouveau fœtus. Ses proches ont découvert cela avec une grande désolation. Une amertume accentuée par le fait qu’elle ne peut désigner l’auteur de la grossesse. Et c’est d’ailleurs le motif pour lequel elle a été amenée à la clinique de l’ABPF à Porto-Novo. Pour le deuxième cas reçu par la responsable de cette clinique, c’est également après une grossesse surprise, à auteur inconnu que la grand-mère de la fille a pensé à une méthode contraceptive. Aux dires de Mélanie ADAMON AGBAHOUNGBA, sage-femme retraitée, cette attitude des parents se justifient par trois principales raisons : « premièrement il y a l’ignorance au sujet de la sexualité de l’enfant handicapé, deuxièmement la honte d’avoir une fille handicapée, l’incapacité à affronter le regard moqueur de la société et troisièmement, le manque de moyens financiers ».

Façade du centre ABPF de Porto-Novo

Bénin, un État à l’image des parents de filles handicapées

La prise de conscience tardive des parents en ce qui concerne l’importance à accorder à la santé sexuelle reproductive des filles en situation de handicap, n’est que la manifestation à l’échelle  familiale d’une réalité sociétale. En effet l’environnement juridique et institutionnel ne permet pas de réagir autrement. Après lecture de la loi N°2003-04 du 03 Mars 2003, relative à la santé sexuelle et à la reproduction, force est de constater l’absence du mot « handicap » dans ce texte de loi.  Et même à l’article 7 consacré à la non discrimination ; parmi les patients en droit de recevoir tous les soins de santé de la reproduction sans discrimination, il n’est pas clairement mentionné les personnes handicapées. La seule façon de les y inclure est de reconnaitre le caractère universel du droit à la santé de la reproduction, mentionné à l’article 2 de cette loi. Ce constat est fait sans jeter un regard accusateur sur le législateur dont l’action ne reflète que l’état de conscience de la communauté en un moment donné. En 2003, il est clair que la prise en compte des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap n’était pas une priorité et ne faisait pas l’objet d’attention particulière. La preuve est que la loi portant protection et promotion des droits des personnes handicapées en république du Bénin ne date que de Septembre 2017. Et il a fallu attendre le Conseil des ministres du 21 Juin 2023 pour que les textes d’application de cette loi soient adoptés. Aussi faut-il  remarquer que ces décrets ne sont pas orientés vers la santé sexuelle et reproductive de la personne handicapée. Ainsi comme leurs parents, les décideurs eux-mêmes n’ont pas tout de suite conscience que certaines filles handicapées sont à intégrer dans la population féminine capable de procréer. Une telle situation prévaut dans un contexte où,  le Bénin affiche un taux de prévalence contraceptive moderne (pour toutes les femmes) de 14.1 pour cent (RAPO, 2022). A la onzième réunion annuelle du partenariat de Ouagadougou  (RAPO) tenu du 12 au 15 Décembre 2022 à Niamey au Niger, les indicateurs clés du Bénin en matière de santé reproductive et de planification familiale révèlent  qu’en 2022 : 164000 grossesses non désirées ont été évitées, 58000 avortements à risque évités et 460 décès maternels évités.

Source : Onzième Réunion du Partenariat de Ouagadougou (RAPO , 2022)

Par ailleurs, il est précisé dans le Plan d’Action National Budgétisé de Planification Familiale (PANB) 2019-2023 du Bénin  que « nombre de femmes au Bénin ayant des grossesses non désirées sont dès lors exposées aux risques de l’accouchement sans prise en charge obstétricale adéquate ou aux périls de l’avortement à risque qui menacent la vie, la santé et le bien-être économique des femmes et de leur famille ». Si pour les femmes disposant de toutes leurs facultés, l’absence de planification familiale peut exposer aux risques ci-dessus énumérés, qu’en serait-il des filles handicapées ? Pour une parturiente handicapée intellectuelle, mentale ou psychosociale, le respect du calendrier  des consultations prénatales n’est pas une évidence. Une assistance s’impose, or dans bien des cas, l’auteur de la grossesse s’éclipse ; laissant ainsi le suivi de la grossesse à la charge des parents de la fille. Si ceux-ci sont indigents, le risque de l’accouchement sans prise en charge obstétricale est consommé. Dans le cas où l’interruption volontaire de la grossesse est décidée par les parents de la fille, cette dernière coure le risque de subir un avortement non sécurisé qui pourrait lui couter la vie. La responsable de la coordination de la région sud-est de l’ABPF, Diane GBETCHIDE nous a d’ailleurs révélé que pour les deux cas qu’elle a reçus, les filles avaient déjà subi au moins une fois un avortement. Ainsi, pour ne pas recourir à une IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), il vaut vieux utiliser la contraception pour prévenir toute grossesse non désirée chez la fille en situation de handicap. Dès lors, une question taraude les esprits : quelle méthode contraceptive adoptée pour les filles ou femmes handicapées ?

Priorité aux méthodes de longue durée : IMPLANON, DIU

« Nous expliquons aux parents les différentes méthodes contraceptives et ils en choisissent une pour leurs filles », affirme Diane GBETCHIDE responsable de la coordination sud-est de l’ABPF. Pour les cas qu’elle a traité, le choix a été porté sur les implants notamment celui appelé JADELLE ou IMPLANON. « C’est plus facile à poser et assez pratique nous explique t-elle.

Il y a aussi le DIU (Dispositif Intra Utérin). Mais cette méthode n’est pas facile à appliquer puisque, même si le parent a compris son utilité et son mode de fonctionnement, la fille en situation de handicap ne comprend pas ce qu’on veut lui faire et peut s’y opposer. Or pour introduire le DIU dans son utérus, il faut qu’elle reste tranquille et soit consentante. La méthode JADELLE est donc plus appropriée. » Mélanie ADAMON AGBAHOUNGBA, la sage femme rencontrée à la clinique PROFAM  de Porto-Novo a également souligné le rôle joué par les parents dans l’adoption d’une méthode contraceptive pour les filles en situation de handicap. «  C’est le parent qui fait le choix pour sa fille, selon les informations que nous lui donnons. Pour le cas que j’ai reçu dans ma clinique, nous avons appliqué une méthode contraceptive à la fille après qu’elle ait accouché chez nous ».

La contraception comme moyen d’identification des géniteurs déserteurs

Au-delà de la prévention des grossesses non désirées chez la fille déficiente, le recours à la contraception peut permettre d’identifier le partenaire qui entretient des rapports sexuels avec la fille, sans s’afficher  parce qu’il en a honte ou ne compte pas assumer les conséquences de ses actes. Un avantage de la contraception appliquée à la fille handicapée qui  nous a été révélé par Mélanie ADAMON AGBAHOUNGBA sage-femme retraitée. « Dès que la fille a été mise sous contraception, l’appétit sexuel de son partenaire de l’ombre s’est accru. Et comme la barrière contre une grossesse non désirée était là, il multipliait les rapports sexuels avec elle jusqu’à ce qu’on le surprenne un jour. Il a été interrogé et n’a pu nier la paternité du premier enfant que la fille a eu. C’est ainsi qu’il a été démasqué quelques cinq mois après la mise sous contraception de la fille. Les parents de cette dernière étaient vraiment contents. Voilà pourquoi je demande aux parents de  prendre leurs responsabilités en ce qui concerne le droit à la santé sexuelle et reproductive de leurs filles en situation de handicap. Il vaut mieux ne pas alourdir ses charges, car une fille déficiente, enceinte d’un géniteur inconnu, constitue une charge de plus pour ses parents»

La contraception appliquée aux filles handicapées, un nouveau défi à relever dans les programmes de planification familiale

Dans le Plan d’Action National Budgétisé de Planification Familiale du Bénin (PANB) 2019-2023, il a été relevé que : « la qualité des services de PF est peu satisfaisante, notamment pour les adolescents et jeunes ou pour les personnes en situation de handicap qui ont des besoins particuliers et souvent méconnus par le personnel des structures de soins. Cela s’explique par le manque de formation des personnels médicaux et paramédicaux, mais aussi par le manque de matériel adapté aux services, par la vétusté et le manque de mise aux normes de fonctionnement des centres ». A  la clinique de l’ABPF, la sage-femme responsable du centre, Diane GBETCHIDE  a reconnu qu’il lui était difficile d’expliquer la contraception à l’une des patientes handicapée qu’elle a reçues. «  Elle est sourde-muette et j’étais obligé de lui faire des gestes avec la main. Mais j’avoue qu’elle ne comprenait pas grande chose ». Un cas isolé parmi tant d’autres qui illustre la difficulté d’accès des filles handicapées aux informations relatives aux droits de la santé sexuelle et reproductive, ainsi qu’à la planification familiale. Selon que le handicap est mental, intellectuel, auditif etc., cette difficulté varie. Il y a donc nécessité d’adapter le discours sur la  contraception au langage accessible à chaque type de personne handicapée.