Bénin / Gouvernance : Pourquoi Talon doit oxygéner le gouvernement

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Après la formation de son premier Gouvernement qui date de début Avril 2016, quelques heures après sa prise de fonction, le chef de l’État béninois Patrice Talon a retouché l’équipe fin octobre 2017 puis le 05 septembre 2019, ensuite le 25 mai 2021. Toutes les fois, c’étaient des remaniements légers. Moins de dix ministres sur 21 voire 23 sont sortis au profit de nouvelles têtes avec des jeux de chaises musicales entre certains qui sont maintenus. Tout point fait, la plupart des membres du gouvernement (plus de la moitié) sont là depuis le début du quinquennat de la Rupture. Les Béninois n’étaient pas habitués à une telle longévité de tout un gouvernement sous un président de la République.

Sous le président Yayi Boni qui a précédé, les ministres savaient qu’ils étaient assis dans un fauteuil éjectable chaque jour ou à la limite, pour ne pas exagérer, chaque six mois ou 01 an. Le remplacement d’un ministre au gouvernement était monnaie courante. Notre objectif n’est pas de promouvoir cette façon de faire. Loin de nous toute idée… Mais quand on revient au cas Talon, il y a quand même lieu de s’interroger. Sept ans de gouvernance, et seulement trois gouvernements (2016, 2017 et 2021) au compteur avec la plupart des ministres qui totalisent toutes ces années au même poste à quelques nuances près. En effet, ce sont les mêmes têtes que les Béninois croisent sur le terrain, écoutent ou voient au quotidien dans leur transistor ou dans leur écran cathodique. En communication, c’est redondant, c’est saoulant et ça repousse ou rebute. Si c’était en entreprise ou dans l’administration publique, ça ne gênerait guère puisque les concernés ont le temps de capitaliser des expériences. Ils pourraient même être appelés experts dans leurs domaines respectifs après tant d’années au poste. Mais la dure réalité ici est que nous sommes sur le champ politique, qui qu’on le veuille ou non appelle une autre façon de faire même si elle n’est pas la norme.

Certes, pour venir au pouvoir Patrice Talon n’a peut être pas bénéficié d’un large soutien de partis et d’acteurs politiques. Mais l’on ne doit perdre de vue qu’après s’être retrouvé dans le fauteuil, il a connu beaucoup d’adhésions, que ça soit spontané ou par contrainte de survie. Des individualités au sein de la société civile jusqu’aux acteurs politiques admirateurs de la gouvernance en passant par les formations politiques soutiens, la majorité présidentielle s’est élargie. Et qu’on ne se leurre point, sur le champ politique, quand on soutient, ce n’est pas pour les beaux yeux de quelqu’un. Il y a la récompense que beaucoup attendent derrière. L’entrée au gouvernement de tel ou tel n’est qu’un moyen d’expression de reconnaissance. Peut être que les technocrates sont épargnés. Mais en toute objectivité, s’il y a une critique qu’on fait à Patrice Talon dans l’opinion et surtout dans le rang de ses soutiens, c’est que le pouvoir est limité à une minorité pendant que beaucoup continuent d’espérer. Ça dure depuis 2016, et beaucoup pensent que le chef du gouvernement devrait tirer leçons des récentes législatives pour faire le point du parcours de ses collaborateurs ministres à ses côtés, faire également le point de leurs performances politiques dans leurs circonscriptions électorales respectives et profitez pour opérer les changements stratégiques qu’il faut afin d’oxygéner un peu le jeu. Sur ces deux indicateurs (bilan au poste et apport politique), à l’analyse, une belle brochette de ministres pourraient être changés sans grand étonnement dans l’opinion. Et pour cause :

Raphaël Akotègnon

C’est vrai qu’à la faveur du léger remaniement ministériel de mai 2021 il n’a pas pu finir son mandat de député au Parlement. Mais en compensation, il a obtenu le prestigieux titre de ministre avec tous les avantages y afférents. Le président Patrice Talon enlèverait Raphaël Akotègnon qu’il n’aura rien à se reprocher puisque la razzia prévue suite au mariage Prd_UP n’a pas eu lieu aux dernières législatives. La preuve, le ministre Akotègnon, deuxième titulaire sur la liste UPR n’a pu se faire réélire député dans la quinzième circonscription électorale. Politiquement, ce n’est pas bon signe, et son parti, le Prd n’aurait même pas eu de députés au Parlement, neuvième législature, à cause de la règle des 10%, s’il n’avait pas été tracté. En 1 an 8 mois au ministère de la Décentralisation, pas grand chose au tableau de M. Akotègnon puisque la plupart des réformes phares dans le secteur étaient bouclées avant sa nomination.

Oswald Homéky

À César, ce qui est à César et à Dieu ce qui lui revient. C’est vrai, Oswald Homéky fait partie de ceux qui ont cru et pris des risques pour l’avènement du pouvoir de la Rupture. Mais en sept ans, le jeune ministre aura ‘’tout’’gagné avec Patrice Talon qui a lui a fait confiance à la hauteur du risque pris avant 2016. Ministre des sports, puis il monte en grade en cumulant le portefeuille de la culture puis celui du porte-parolat ; sans oublier qu’il a été député à la faveur des lugubres législatives de 2019, même s’il n’a pas siégé. À son actif, la qualification historique du Bénin aux quarts de finale à la Can foot Égypte 2019 et le récent exploit des jeunes collégiens des Ceg Sainte Rita et Cobly, en Côte d’Ivoire face à leurs pairs de la sous-région. Mais des passifs ou contre-performances, Homéky en a aussi dans sa gibecière. Entre autres, le Bénin a loupé sa qualification à la Can foot suivante, et entre temps le ministre a également perdu ses portefeuilles de la culture et de porte-parole du gouvernement. Décembre 2022, le chef de l’État a dû convoquer au Palais de la Marina, les acteurs sportifs pour échanger avec eux sur les mécanismes à mettre en place pour que le Bénin soit présent dans le concert des nations, dans un futur proche, en matière de sports notamment du football. Est-ce par manque d’initiative du jeune ministre ? Encore qu’à cette rencontre le chef de l’État n’a pas aimé la façon dont les stades construits à grands frais du contribuable béninois sont entretenus. Le dernier acte qui ne milite pas pour le maintien de Homéky au gouvernement, c’est l’échec subi aux législatives de janvier dernier. Troisième titulaire dans la seizième sur la liste UPR, il n’a pu obtenir avoir le vote massif des populations et de la jeunesse en particulier pour répondre présent à l’assemblée nationale.

Modeste Kérékou

Beaucoup de Béninois ignorent l’existence de son département ministériel. Depuis 2017 qu’il a eu la grâce de figurer dans le gouvernement en tant que ministre en charge des petites et moyennes entreprises et de la promotion de l’emploi, Modeste Kérékou est resté transparent. Peut-être qu’il soulève des montagnes dans l’ombre que seul le chef de l’État arrive à apprécier mais suivant ce qui se susurre dans l’opinion, c’est que Modeste Kérékou jouit plus de sa proximité avec Patrice Talon. Sur le plan politique, du côté de sa région natale, Natitingou et ses environs, pratiquement rien à mettre dans la balance pour le fils du feu chef de l’État, Général Mathieu Kérékou. Déjà cinq années qu’il est ministre sans oublier que sous le pouvoir defunt, il avait été déjà au gouvernement et au Parlement.

Jean Michel Abimbola

Avec le feuilleton de la destitution du maire Karamath Fagbohoun qui a eu pour conséquence l’isolement du ministre Babalola Jean Michel Abimbola par leur parti commun, le Bloc républicain, beaucoup prédisaient une fin politique au ministre Abimbola. Mais le chef de l’État lui fait confiance au gouvernement en le maintenant au Tourisme, à la Culture et aux Arts. Quatrième année au gouvernement, s’il est vrai que c’est sous lui que les trésors royaux ont été rapatriés et exposés avec succès, Jean Michel Abimbola qui avait été également ministre et député sous le pouvoir de Yayi Boni n’a rien à perdre à renouer avec l’expérience parlementaire après sa transhumance du BR à l’Union progressiste Le Renouveau (UPR), qui a valu son élection en tant que député dans le département du Plateau.

Kouaro Yves Chabi

En un peu plus de vingt mois au ministère des enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle, Kouaro Yves Chabi a-t-il convaincu ? Quelle plus value a-t-il apporté à la situation des AME ? Quel rôle a-t-il joué dans la réintégration des 305 enseignants radiés ? Seul le chef de l’État, chef de gouvernement saura apprécier. Mais au-delà de son statut de technicien de l’enseignement secondaire, ce que tout le monde peut savoir de Kouaro Yves Chabi, c’est qu’au terme du scrutin législatif du 8 janvier 2023, il n’a pas réussir à tirer son épingle du jeu dans la troisième circonscription électorale (Boukoumbé, Cobly, Matéri, Natitingou) sur la liste UP Le Renouveau. Il n’a donc pas d’ancrage politique qu’il peut faire valoir au chef de l’État comme un incontournable dans sa localité.

Salimane Karimou

C’est sur le fil du rasoir que le transhumant ministre en charge des enseignements maternel et primaire a été élu député pour le compte de la neuvième législature. Des militants du même parti, BR, avaient même annoncé son échec avant les institutions comme la Cena et la Cour constitutionnelle. Après sept ans au gouvernement, c’est l’occasion de faire changer d’air à Salimane Karimou dont la gouvernance est teintée de remous avec à la clé de concours organisés et remis en cause. Haut cadre de l’enseignement primaire, il a le background nécessaire pour réfléchir sur des lois et réformes allant dans le sens du développement de l’école en général.

Aurélie Adam Soulé

Nommée ministre de l’Economie numérique et de la communication depuis 2017 puis après de la digitalisation, cette Béninoise de la diaspora est dans son marigot. Avec elle le Bénin a pu glaner quelques bons classements dans le secteur en Afrique et à l’international. Mais sa gouvernance n’est pas exempte de reproches. Récemment, la misère qu’elle fait subir à la maison de presse du service public ORTB quant à son PTA et à son budget annuel a été mise sur la place publique. En terme de qualité de la connexion internet, de son coût et de la couverture intégral du pays, les consommateurs continuent de se plaindre des Fournisseurs d’accès internet et des opérateurs de téléphonie mobile, et ce sans grand changement. Si le maillage du territoire par la fibre optique est une réalité sous Aurélie Adam Soulé, les Béninois continuent d’espérer pouvoir jouir un jour de la TNT qui reste toujours un mythe au Bénin après tant d’années de battage médiatique autour du sujet, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays de la sous région région où leurs populations en bénéficient pleinement à travers la visualisation de toutes chaînes de télévision locales. Le terrain politique n’est visiblement pas aussi la chose de la jeune ministre Adam Soulé Zoumarou. Elle y a fait son baptême de feu non concluant aux législatives de janvier 2023 sur la liste du Bloc républicain dans Nikki et environs (septième circonscription électorale).

Shadiya Assouman

Moins visible à l’industrie et au commerce, sous Shadiya Assouman les plaintes et complaintes en ce qui concerne la cherté des produits locaux et importés sont énormes et au quotidien. Même quand les prix plafond sont fixés par le gouvernement, difficilement ils sont respectés par certains commerçants sur le marché au point où les Béninois s’interrogent sur l’existence de structures de contrôles. Quelques descentes sur le terrain après des cris de détresse des consommateurs, et visiblement, après l’effet des caméras, tout s’arrête. Le Nigeria avec ses plus de 200 millions de consommateurs est une opportunité pour les producteurs, commerçants et entrepreneurs béninois. Mais beaucoup s’interrogent sur ce qui se fait en terme d’accompagnement des compatriotes pour leur faciliter la pénétration de ce gros marché sous régional. Est-ce par défaut d’information ? Si oui, la responsabilité du ministère de tutelle n’est-elle pas engagée ?

Séverin Quenum, Didier Tonato et Aurelien Agbénonci

La nature semble être bien généreuse pour la dix-septième circonscription électorale notamment la région de Grand-Popo qui est représenté par trois de ses fils aux côtés de Patrice Talon au gouvernement. Ils font partie sans doute des caciques, des fidèles des fidèles voire des intouchables mais aux dernières législatives, difficilement leur parti d’appartenance l’UPR a pu décrocher un siège. Malgré cet arsenal ministériel. Il va falloir que le chef de l’État opère à ce niveau, bien que ça pourrait être douloureux, en déplaçant tout au moins un pion au profit d’une autre localité du pays.

Chamss Deen BADAROU